Les brumes de l'abîme : chapitre 2 (partie 2)
Un rai de lumière vint se poser sur le visage d'Arthalas depuis le volet entrouvert de la chambre. Une douce chaleur l'envahit, comme si il reprenait vie, ses paupières qu'il pensait figées par le sel marin s'ouvrirent sans peine. Sa première réaction fut de bondir hors du lit, prêt à affronter le moindre danger. Mais comme personne ne se trouvait dans la pièce, et qu'il ne sentait pas de présence hostile dans les environs, il se rasséréna quelque peu. Le jeune elfe se trouvait dans une petite pièce de trois mètres sur trois, meublée d'un lit robuste, d'une petite table de chevet et d'une armoire en pin massif. Un tableau immonde surplombait le sommet du lit, et il émanait de l’ensemble le doux fumet d'un putois croisé avec un sanglier. Arthalas s'habilla en vitesse, ne sachant toujours pas où il se trouvait. Apparemment quelqu'un l'avait sauvé et soigné plutôt efficacement, à en juger par la forme relative qu'il éprouvait. Dans ce cas il lui présenterait ses remerciements avant de reprendre la route. C'est ainsi qu'il se hâta vers la porte. Mais à mi-chemin il se senti vaciller et eut le tournis: visiblement il n'était pas tout à fait remis. De plus une faim monstrueuse le taraudait et le vidait de son énergie! C'est alors qu'il entendit plusieurs voix, plutôt joviales lui sembla-t-il, par delà la cloison. Il devait vraiment être épuisé pour ne pas les avoir entendu plus tôt avec ses sens elfiques! Ces trois voix masculines résonnaient désormais terriblement, et une des trois personnes lâcha un rire qui fit trembler les murs! De nouveau à l'affût, le jeune elfe se saisit de son arc posé près de l’armoire, et encocha une flèche, prêt à tirer à la moindre menace. Il entrouvrit la porte, puis poussa d'un coup sec, pensant faire une roulade qui surprendrait les éventuels ennemis. Hélas ses jambes étaient encore tremblantes et il ne réussit qu'à s'affaler de tout son long sur le sol, manquant s'éborgner avec la hampe de la flèche, devant les trois compères ébahis. S’il s'agissait d'ennemis, Arthalas venait de signer son arrêt de mort.
Il ferma les yeux s'attendant à de terribles représailles. Pourtant à sa surprise, deux bras puissants mais très délicats se saisirent de lui pour le relever. L’homme aux allures de chevalier mit le bras de l'elfe par dessus son épaule, et l'aida à rejoindre la table où siégeaient les deux autres inconnus. Une fois installé, le chevalier lui lança un sourire chaleureux et lui tendit une écuelle pleine d'un gruau peu appétissant, mais dans son état Arthalas n'était plus très regardant. Il se trouvait entre un géant crasseux dont il ne distinguait pas l'œil droit, et un mage en robe cyan affichant un air supérieur derrière sa barbe rousse. Le trio était assez hétéroclite, et on n'avait peine à croire que ces hommes puissent être amis. Quoiqu'il en soit, ils n'avaient pas fière allure, tout couvert d'hématomes et d'estafilades qu'ils étaient. Leurs cheveux étaient ébouriffés et plein de feuilles, leurs vêtements boueux et leurs regards voilés comme si ils avaient vu une naine se déshabiller! Le colosse laissa échapper un rot sonore et odorant avant de rire grassement:
« Alors petit bout d'elfe, tu te sens mieux? Je croyais que tu ne passerais pas la nuit, mais apparemment cet imb... heu Anomen a pu te sauver la mise! » Lâcha-t-il en mettant une tape violente dans le dos de l'elfe qui manqua s'évanouir sous l'impact. Le paladin foudroya le barbare du regard et reprit sur un ton amical:
« - Pardonne la vulgarité de mon ami. Je me nomme Anomen, paladin des Lames Ardentes. A ton service. Et voici Phaelgalis le barbare, c'est lui qui t'a trouvé gisant sur la plage. Quand à lui il se nomme Zacharius, mage à la cour du roi Dekon. Comme tu le vois nous n'avons pas fière allure, rassure toi c'est uniquement parce que nous sortons d'un combat assez...mouvementé!
- Je me nomme Arthalas, Grand Pisteur du royaume elfique de Liorund. Veuillez pardonner mon attitude fort peu amicale, mais je sors d'un rude voyage moi aussi, comme vous pouvez le voir. Pourrais-je vous demander combien de temps j'ai dormi, et où je me trouve par hasard?
-Tu te trouves dans l'auberge du Dragon enrhumé à Thornalia, mais je ne saurais te dire combien de temps s'est écoulé depuis ton naufrage. Nous t'avons trouvé à l'agonie hier matin, et t'avons ramené ici. C'est tout ce que je peux te dire, hélas. Mais dis moi comment t'es tu retrouvé en si mauvaise posture?
- C'est une bien longue histoire, je ne devrais pas vous la raconter en vous connaissant si peu. Enfin puisque vous m'avez sauvé je veux bien vous en dévoiler plus.
Comme je viens de vous le dire je viens de Liorund, le royaume sylvestre, où j'avais à charge de surveiller la frontière, en vue d'empêcher toute intrusion illégale. Hélas pour notre plus grand malheur à tous, je m'endormis à mon poste un soir il y a de cela quelques semaines. Croyez moi si vous voulez, mais je devine là quelques turpitudes magiques: je n'avais pas bu et j'étais en pleine forme! Toujours est-il que des intrus se faufilèrent dans la forêt interdite, jusqu'au Palais de Olhirum notre reine. Là ils lui plantèrent un poignard en plein cœur, et lancèrent une incantation maléfique, qui eut pour effet de changer la reine en Liche. Ils lui mirent ensuite une sorte d'orbe noir à la place du cœur, et aussitôt les arbres alentour périrent empoisonnés. Le fléau qui détruirait ce monde venait d’être créé. Il est dit en effet dans les anciens textes sacrés qu'une liche elfique de sang royal ravagerait le monde, munie des pouvoirs de l'orbe du désespoir et du collier des Pourpres Saisons! Mais ce qu'ils n'avaient pas prévus c'est que la reine confierait ce fameux collier à sa fille, la princesse Thalunia. Cette dernière, alertée par des bruits de pas incongrus, avait emporté le collier à la lisière de la forêt, afin de le mettre hors de portée de ces démons. Et ainsi sauver sa mère. Malheureusement, avant d'atteindre son but, elle fut interceptée et mortellement blessée par une créature noire terrifiante, munie d'un fléau en forme de dragon. Je le sais car la scène se déroula sous mes yeux alors que je m'éveillais! Le reste me fut conté par un survivant par la suite. Je décochai une flèche de Soleil sur son assaillant. L’impact le fit hurler de façon inhumaine, et il s’en retourna dans les fourrés soigner sa blessure. Thalunia me tendit le collier de sa main ensanglantée. Un océan de larmes déferlait le long de ses joues, collant ses belles tresses blondes à ses joues. Elle me fixa de ses yeux couleur ambre, et me murmura avec ses dernières forces:
« -Prenez ce collier, maître Arthalas et fuyez! Il est l'avenir de ce monde, de notre royaume! Si jamais IL en prenait possession, les Brumes de l'abîme recouvriraient ce monde, et l'ordre de la désolation régnerait! Fuyez par delà les montagnes du couchant, par delà la mer du brisant, par delà les plaines de sable et les marais putrides! Ramenez ce collier au grand sage Amund de la ville d'Ishandir, lui seul saura comment remédier à ce mal... Allez maintenant, faîtes vite... je... compte sur....vous........."
Elle mourut là dans mes bras sans que je puisse rien faire, le visage figé sur une expression d'imploration. Alors que je lui refermais les yeux, je ne pu contenir ma rage qu'à grand peine. Le royaume de Liorund, se décomposait peu à peu sous mes yeux sous les assauts d’un étrange nuage de jais, et les cris des habitants terrifiés m'arrachèrent des larmes de désespoir! J'aurais tant voulu me battre pour eux, les sauver à la force de mon arc! Mais j'avais une mission et c'est la mort dans l'âme que je dû me résoudre à fuir. Depuis je voyage vers l'Ouest, marchant de nuit et dormant le jour, car l'assassin de la princesse me poursuit sans relâche une fois l’astre de feu couché. Il semble invincible, rien ne peut l'arrêter à part le soleil! J'étais finalement parvenu à embarquer au bord de la Marie Galante au port de Vuhm, quand au large une terrible tempête balaya mon navire et me fit échouer sur ces rivages.
Voilà c'est mon histoire, j'ignore si vous me croyez ou non, mais ce fardeau je dois désormais le porter seul! Je reprendrais la route dès ce soir avec votre permission."
Tandis qu’Arthalas contait ses malheurs, la lumière de l'auberge s'était faîte plus faible, l'atmosphère plus glaciale et les visages s'étaient fermés. Même Phaelgalis s'était tût et affichait un air grave. L'elfe n'avait pu contenir son chagrin et son expression était déchirante. Un long silence pudique suivit le récit. Même l'aubergiste ne pipait mot, quand soudain le barbare frappa du poing sur la table:
« -Mince, ce monstre! Pas de doute c'est celui qui nous a attaqué hier soir! Le salopard! Décidément le chaos règne partout où il met les pieds celui là! Je sais pas ce que les autres en pensent mais sache que tu n'es plus seul! Je t'aiderais dans ta quête, et ensemble on trouvera bien un moyen de faire la peau à l'autre pingouin!
- Je suis d'accord avec Phaelgalis: la Règle et la Mesure ne saurait tolérer pareilles exactions! Je t'apporterais toute l'aide que je pourrais. Sois en assuré mon ami! Renchérit Anomen.
- Hé bien, je n'apprécie guère qu'un être aussi répugnant m'ait blessé. Il semble de plus que l'opportunité de rencontrer le grand sage Amund, vaille bien quelques sacrifices! Ma foi je marche avec vous! Un mage de ma qualité vous sera fort utile. »
Arthalas qui quelques jours auparavant se sentait seul au monde, venait miraculeusement de trouver trois compagnons de choix. En ne se fondant sur rien hormis son instinct, il décida de leur faire confiance. Leur réaction lui avait fait chaud au cœur, et il doutait d'y arriver sans eux! Un léger sourire naquit sur ses lèvres tandis qu’il déclarait:
« -Mes amis je ne sais que dire... Je trouve enfin du secours, après tout ce temps! Il me semble que l'espoir revient peu à peu en moi! Je...
- Les mots sont inutiles, coupa le paladin, nous avons un ennemi et des buts communs: notre alliance était inévitable!
-Ouais, scanda Phael, vive nous! Que débute les chroniques des Compagnons de la Bière!
- Désolé mais il est hors de question qu'un mage voyage dans un groupe affublé d’un nom pareil! Je propose pour ma part le Groupe de Tanzar!
-Si vous permettez, intervint Arthalas, le titre de « Frères du trèfle écarlate » me semble plus approprié. Regardez donc pourquoi! »
Il montra le collier qui pendait à son cou, composé de trèfles à quatre feuilles écarlates reliés par un fil de mithirl, celui-ci n’avait rien d’exceptionnel de prime abord. Phael l'envisagea d'un oeil circonspect:
"-C'est ça le Collier des Pourpres Saisons? J'imaginais quelque chose de plus ... étincelant!
- Tout ce qui brille n'est pas d'or, l'inverse est aussi vrai. Parfois les plus grands trésors sont très bien cachés et ne se révèlent qu'à qui prend la peine de les observer!
- Mouais c'est ça..... Bon quoi qu'il en soit.....
- EN AVANT FRERES DU TREFLE ECARLATE!!!! Clamèrent-ils tous les quatre en chœur. »