Impuissance
Aujourd'hui je vais vous narrer un incident qui m'es arrivé hier soir en rentrant d'un séminaire sur le coup de 21h, dont je suis pas fier certes mais dont je n'ai pas honte non plus. En fait je ne sais pas trop quoi en penser...
Sous une pluie battante et froide je me fais interpeller par une jeune SDF de même pas 30 ans, qui insulte tous les passants qui ne lui donnent pas quelques piéces. Rien d'anormal dans la rue Bayard on en croise un comme ça tous les 20 mètres et cela ne fait qu'empirer depuis mon arrivée sur Toulouse. La situation est déplorable je vous l'accorde et au début je donnais presque à chaque fois, puis le temps passant je ne donne plus que très rarement. D'autant plus que selon les cas cet argent sert juste à se racheter de l'alcool. Tant qu'à faire je préfére filer à bouffer au moins je sais à quoi ça servira. Enfin passons j'y reviendrais plus tard.
Cette jeune femme me demande donc de façon agressive de lui donner quelques pièces et je fais non d'un léger signe de la tête. Il pleuvait et j'étais un peu fatigué donc j'imagine que je devais avoir un air un peu plus sombre que d'habitude. Toujours est-il que celle ci s'entête et commence à essayer de me pousser en disant que je lui ai manqué de respect. Que j'ai une sale gueule de bourgeois, de fils à papa... Après tout c'est peut être vrai. J'assume parfaitement ma gueule. Je lui demande donc une fois de me lâcher, de façon un peu brusque je l'avoue mais cueilli à froid comme ça je suis pas toujours chaleureux... Ce coup-ci elle commence à tirer sur ma veste et à essayer de me cogner. Je précise qu'à aucun moment je me suis vraiment senti en danger: je fais 1m83 pour 115 kilos , elle devait faire moins d'un mètre 60 et était particulièrement maigre. Je me dégage donc assez facilement de son étreinte mais au dernier moment je me retiens un peu honteux. Envoyer valdinguer une SDF ivre contre un mur c'est quand même assez moyen.
Rien à faire pire qu'une sangsue elle se colle à mon bras et essaye de m'intimider. De guerre lasse je décide que ça suffit comme ça et je reprend mon chemin en pensant qu'elle va lâcher l'affaire. C'est donc avec cet encombrant fardeau que je me remet à marcher sans trop de problèmes si ce n'est qu'elle ne veut pas me lâcher et qu'elle continue de m'arroser copieusement d'insultes. Un peu excédé à force au bout d'une vingtaine de mètres à essayer de la convaincre de me lâcher je manque encore une fois de l'envoyer balader avant de la rattraper à nouveau avant qu'elle se fasse mal. Ça peut paraître violent mais je voulais pas y mettre autant de force, c'est juste qu'avec mon gabarit un geste qui parait naturel devient plus impressionnant... Je dois vraiment prendre sur moi pour me retenir de pas lui en coller une pour de bon. Déjà on tappe pas une femme et puis bon la vie a pas été tendre avec elle j'imagine. La violence ne résoud rien sauf en cas de survie. N'étant pas vraiment menacé par ses coups je me ravise.
Finalement je décide de lui laisser vider son sac et de jouer les imbéciles. Bon l'expression "fils à papa" revenant quasiment à chaque phrase on va passer dessus. Elle me demande mon job je répond que je suis étudiant. Après coup c'était sans doute pas la bonne réponse mais bon... Elle me traite alors de sale petit con qui se croit supérieur parce qu'il fait des études. Elle aussi a eu son bac avec mention mais elle n'a pas pu payer ses études et maintenant elle est dans la rue. Ses parents ont bossé dur, eux ce n'étaient pas "des collabos, tu sais pendant la guerre tout ça" pas comme les miens. Bon c'est tellement ridicule que j'ai pas relevé hein. Un début d'empathie nait en moi, c'est une histoire tristement banale qui ne devrait plus avoir lieu d'être en France. Cependant alors que je m'apprête à lui donner un petit quelque chose un peu honteux, elle me pince une énième fois plus fort en m'ordonnant de lui filer de la monnaie. Puis son regard de shooté et les relans d'alcool me font reprendre mes esprits.
Je lui répond que j'ai pour principe de ne jamais donner d'argent sous la menace (toute relative dans ce cas), que je suis désolé pour ce qui lui arrive et pour avoir eu l'air irrespectueux. Je lui demande en quoi mon attitude l'a été pour ne pas reproduire cette erreur la prochaine fois. Elle est bien incapable de me répondre et dit que c'est parce que j'avais une sale gueule de fils à papa. Que rien qu'à mon allure on voit que j'ai été "conditionné " pour être un bourgeois et que ça l'a enervé. Que je suis incapable de penser par moi même. Je lui répond simplement que je peux pas changer ma gueule et que si je compatis je suis pas non plus la cause de tous ces malheurs. Elle finit par me lâcher et s'en aller, je lui souhaite de passer une bonne soirée quand même.
Alors forcément je passe pour un radin égoiste et brutal à vos yeux. Ma foi c'est sans doute vrai quelque part. Les paroles de cette jeune femme bien qu'insensées ont quand même un fond de vérité. Oui j'ai eu énormément de chance d'avoir des parents qui m'ont soutenu pour faire des études. Oui comparé à un SDF je jouis d'un grand confort matériel. Je sais d'où je viens et je ne le renie pas. Je vois pas pourquoi je devrais en avoir honte! D'autant que je reviens d'assez loin quand même parti d'un des lycées les moins côtés de la Réunion. Enfin passons.
Pourquoi ne pas avoir cedé et donné de l'argent? D'une part je trouve le fait de jeter une pièce à quelqu'un hypocrite car ponctuel et peu constructif. Je préfére soit filer à manger (je n'ai refusé de donner un yaourt, un peu de pain... à quelqu'un. Ma mère me disait la nourriture c'est de la merde au final, pas besoin d'en faire un luxe ou de se battre pour elle.), soit donner à des organismes types restos du coeur. D'autre part ce genre de SDF qu'on trouve rue bayard sont assez particuliers: issus d'une sorte de mouvement anarchiste-punk (ou dans le genre), ils sont en majorité jeunes , de passage et en rejet total de la société pour des raisons idéologiques. Je veux bien faire preuve de compassion pour des personnes âgées, ou des personnes avec des gosses à charge, voire des infirmes... Mais là je suis désolé ils sont jeunes, relativement bien portants et pas plus bêtes que d'autres. Ils sont simplement pris dans une spirale de drogues et d'alcool. La plupart ne sont pas violents et ne me gènent pas , j'ai pas de raison de les mépriser ou de leur cracher à la gueule. Je suis le premier à m'insurger lorsque les flics font des descentes et les provoquent MAIS ce mode de vie résulte en partie de choix dans leur cas. La misère j'en ai vu, j'en verrais beaucoup encore et ça me fend le coeur. Néanmoins avec le temps j'ai appris à ne pas sombrer dans le misérabilisme: il existe des structures pour aider des jeunes en grande difficulté, les logements sont un problème c'est indéniable. Il faut en effet davantage de foyers notamment ceux pouvant accueillir également des chiens, plus de logements sociaux... Ils ont besoin d'un peu de soutien moral, psychologique... Plus généralement les politiques de solidarité sont dans un état lamentable aujourd'hui et la grande majorité des SDF ne le sont pas par choix. Mais ces jeunes anar' je suis désolé mais j'ai du mal à les prendre totalement en pitité. Je donne parfois moi aussi, comme une décharge morale, même à ceux là mais me faire endosser la totalité de leur problèmes c'est trop navré.
Maintenant en ce qui concerne mes tords: je suis très mauvais en relations humaines. Je vis dans mon monde, dans ma bulle et j'ai beaucoup de mal à m'ouvrir aux autres. Rien qu'un contact physique de ce type qui plus est agressif suffit à déclencher une réaction de défense involontaire. C'était assez maladroit de ma part mais voilà j'ai du mal à communiquer avec les personnes. Je vais pas vous mentir, je suis incapable d'aller voir un SDF et de taper la causette avec lui. Tout comme je ne parle pas spontanément aux gens dans la rue. Je suis extrêmement coincé, j'essaye d'y remédier mais la solitude relative dans laquelle je vis ne m'aide pas. J'admire les gens capable de le faire mais objectivement ce n'est pas ce qui me correspond: je suis d'une nature plutôt sauvage. Sauvage ne veut pas dire agressive, souvent je m'efforce d'être souriant et ouvert mais comme tout le monde j'ai mes mauvais jours. Il a fallu que cela m'arrive sous la pluie à un moment où j'étais fatigué et soucieux face à une personne ivre à qui ma tête ne revenait pas. Cueilli à froid j'ai pas été ni très diplomate ni très tendre c'est vrai. Je ferais un effort la prochaine fois, mais ce n'est pas pour ça que je vais me mettre à distribuer des pieces tel un bon prince. A partir du moment où on a un logement on est tous "social traître" pour quelqu'un. On peut chialer pendant des heures sur la situation et se dire MOI je vaux mieux que les autres, ou on peut essayer d'aller de l'avant et tenter de construire un futur plus équitable.
Cette fille avait sans doute besoin de vider son sac sur quelqu'un. C'est tombé sur moi ce n'est certes pas très agréable mais ça fait l'effet d'une bonne gifle. Deux mondes différents qui se confrontent, ça permet de garder à l'esprit que l'on vit tous des représentatons sociales particulières. J'en tiendrais compte à l'avenir mais je ne pense pas devenir un nouveau boudha ou une mère thérésa en puissance, je ne peux remédier à toute la misère du monde en tous cas dans l'immédiat.
PS: Voilà c'est encore brouillon dans ma tête. Je passe sans doute pour un salaud, mais je préfére être franc et réaliste que passer pour une Ste Nitouche que je suis pas...
Commentaires
Ben dis-donc. Beau déballage de ta part.
Je comprends le clivage psy que ça produit, on est souvent à la fois tentés de donner parce qu'il sont dans la pauvreté, etc., mais on n'en a pas (toujours) les moyens.
Ensuite, si tu les as, tu as eu de bonnes raisons de pas lui en filer: l'agressivité, l'insistance, les menaces, insultes. Tu peux toujours aussi lui conseiller des centres d'accueil, des soupes populaires, etc.
Et puis, tu culpabilises beaucoup. Bon, tu as dû passer à autre chose, heureusement, mais non, ne te méprise pas à coups de "vous devez me trouver égoïste". Tu ne changeras pas le monde en donnant un euro à une pauvre fille shootée. Tu n'es pas responsable de la situation socio-économique et seules les solidarités institutionnelles pourraient y faire quelque chose.
Enfin, t'es pas psy, t'es pas travailleur social, et j'en passe. Elle a certainement besoin de parler, de "vider son sac", et c'est très bien que tu l'aies écoutée et que tu sois resté relativement calme, mais tu peux pas non plus lui faire une thérapie en 5 minutes et la faire sortir de sa situation sociale.
Bref: ne culpabilise pas, nous vivons dans des sociétés si complexes que nous sommes des citoyens impuissants à bien des égards devant les misères du monde!
Les solutions: t'engager dans une asso, dans un parti, ou autre en te disant que tu seras le petit rouage qui permettra peut-être de faire changer les choses!
Desproges disait en substance: c'est pas le rôle des restos du coeur de nourrir les pauvres, c'est à L'Etat; Quand les militaires feront l'aumône pour obtenir un budget et quand il y aura des institutions sociales fortes, alors peut-être, il sera généreux.
Privilégions donc un Etat avec des services publics de qualité, et ne sombrons pas dans le passéisme d'une charité toute-puissante!