Les brumes de l'abîme : chapitre 3 (partie 2)
On a beau dire, se retrouver privé d’un de ses sens est une expérience éprouvante et extrêmement déstabilisante pour tout un chacun. Les sages les plus avisés prétendaient cependant que les sens restants s’en trouvaient aiguisés. Si cela s’avérait séduisant sur le plan théorique, il semblait en revanche que cela ne s’applique pas pour nos compagnons dans la pratique. Phaelgalis avait le nez bouché car il s’était enrhumé, le froid lui piquait les yeux, et son corps était entré dans une sorte de léthargie qui rendait ses membres insensibles à quoi que ce soit ! Le colosse marchait en premier, suivaient le paladin puis le magicien, et Arthalas fermait la marche. Aucune stratégie n’avait été convenue, cet agencement s’était réalisé sans la moindre concertation. Le passage sans être très spacieux laissait une bonne marge de mouvement au groupe. Au terme de deux heures d’une marche lugubre, ponctuée de chutes régulières de chaque membre, il sembla aux Frères que la sortie se faisait plus proche. Du moins l’espéraient-ils, car dans le cas contraire leur survie serait fortement compromise ! Au cours de sa progression, le groupe constata non sans une certaine appréhension que le jour avait fait place à l’obscurité. Cependant la particularité de ce canyon les rassurait sur un point : le démon ne pourrait les suivre ici sans être réduit à néant ! Hélas même les certitudes les plus fortes sont parfois infondées.
Avec la nuit le vent s'était calmé et la brume dissipée. A présent la lune était pleine dans le ciel, augmentant grandement la visibilité du groupe.Tout à sa marche dans cet univers terne, morne et vidé du moindre son, le guerrier elfe remarqua par hasard une ombre qui allait en grandissant sur le sol. Il n’eut que le temps d’esquiver l’assaut en se jetant en arrière avec toute l’agilité de ceux de son peuple ! Le fléau passa à quelques millimètres à peine de son bras, endommageant son bracelet. Les autres, sourds au grondement pourtant spectaculaire qu’avait causé l’impact de l’arme sur le sol, ne remarquèrent rien. Engagé dans un face à face silencieux avec la créature à l’origine de tous ses malheurs, Arthalas savait que ses chances de victoire seul et dans un espace aussi confiné étaient quasi nulles ! Il fallait à tous prix qu’il parvienne à prévenir le reste de la troupe, et tandis que le monstre s’avançait il sut comment procéder. En se saisissant prestement de son arc il décocha une flèche : le tir manqua le démon qui ricana, mais elle vint de loger à quelques centimètres de Phael ! Surpris, le barbare en déduit que les nerfs de l’elfe avaient lâché et se retourna promptement pour lui signifier sa façon de penser ! C’est alors qu’il aperçut son vieux copain le pingouin noir !
Interloqués par l’expression de leur ami, les deux autres regardèrent également en direction de l’agression. Le combat s’engagea dans les secondes qui suivirent : Phaelgalis et Anomen se ruèrent au contact de l’agresseur tandis que le mage resta en retrait pour préparer ses sorts. Si les perceptions des héros étaient fortement perturbées, ce n’était pas le cas pour la créature qui, devinant les attaques du barbare et du paladin, les repoussa dans un mouvement rotatif fulgurant ! Le premier fléau dévia l’assaut de colosse qui manqua s’empaler en trébuchant, tandis qu’un second fléau, que la créature s’était procuré pour l’occasion, vint percuter la rapière du chevalier si violement que ce dernier eut l’impression que son squelette entier allait exploser. Profitant de ce bref répit, l’elfe arma une autre flèche qu’il tira dans une roulade en se plaçant dans un angle mort, chose que seul un elfe peut réussir ! Il atteint l’œil gauche du monstre qui hurla de douleur, du moins lui sembla-t-il. Pendant ce temps, le paladin arma un sort d’entrave des forces du mal qu’il lança sur la chose : trois boules lumineuses vinrent tourner autour d’elle, perturbant ses sens et ralentissant légèrement ses mouvements. Phael qui s’était lui aussi ressaisi se jeta à nouveau dans la bataille. Si le monstre évita sans peine sa première lame, le seconde fit une légère entaille dans la jambe du monstre. De plus dans un mouvement qu’un moine lui avait enseigné un jour, il parvint à assener un coup de pied arrière dans ce qu’il estima être les parties intimes du monstre ! Au contact du corps du monstre, il lui sembla que son pied gelait sur place, ce qui lui arracha un cri de douleur et le força à se retirer rapidement. Cela n’eut apparemment d’autres effets que de mettre le démon de fort méchante humeur. Celui-ci, conscient que la situation tournait mal pour lui, réagit en émettant une onde de force qui jeta les deux bretteurs au sol. Il assena dans la foulée un violent coup de fléau au sol qui manqua broyer l’elfe ! S’étant ménagé ainsi le temps de répit nécessaire, il incanta et son aura ténébreuse sembla gagner en consistance. Privé de son fléau gauche suite à son assaut infructueux envers l’elfe, il saisit le barbare avec ce même bras, comme s’il s’était agit d’un semi homme, et le projeta violement sur la paroi ! Puis il abattit son arme droite en direction du chevalier qui, bien que s’étant remis en garde, fut projeté en arrière, l’épaule démise.
A quelques mètre de l’épicentre du combat, Zach n’avait pu que contempler la déroute de ses amis, cherchant dans son répertoire un sort à même de blesser le monstre sans pour autant toucher ses amis. Il réfléchit à ce que lui avait révélé la vieille sur le fonctionnement des bracelets : ils empêchaient tout son de sortir de la bulle, et empêcher les ondes sonores de pénétrer dans celle-ci. En revanche les interactions entre deux bulles pouvaient générer des vibrations, aussi la magicienne leur avait conseillé de ne pas entrer en contact les uns avec les autres. Ce combat devait donc générer des chocs soniques terrifiants, comme l’attestaient les craquelures qui apparaissaient sur les murs de glace millénaire. Effectivement l’affrontement avec la créature faisait un bruit du tonnerre, la vieille à l’entrée du col se demanda même si les dieux n’étaient pas venus remettre ça sur Irisia ! Le combat s’apparentait à une symphonie puissante composée d’entrechocs de lames, de cliquetis métalliques, et autres bruits de combat divers. Une œuvre magistrale que n’auraient pas renié les grands maestros d’Ariapolis la ville musicale. Il est certain qu'elle aurait fait une superbe marche militaire ! Le mage en conclut que pour résister à un tel choc sonique, leur assaillant avait utilisé un sort de protection similaire à celui contenu dans les bracelets. Par conséquent, il suffisait d’utiliser un sort de brèche magique sur sa protection pour le mettre en grave difficulté. Zacharius sûr de lui se mit donc à tracer dans les airs les symboles complexes d’un sort !
Au même moment, afin de pouvoir rivaliser avec la nouvelle puissance de son adversaire, Phaelgalis eut de nouveau recours à la rage de Berserker ! Avec sa force décuplée il s’engagea dans un choc de titans avec le démon, où aucune règle n’avait cours : il fallait frapper plus fort, plus vite, encore et encore ! On pouvait même griffer, mordre… du moment qu’on faisait mal à son ennemi! Entre les contacts avec le démon et les coups qu’il recevait, le corps de Phaelgalis était mis à rude épreuve, mais la colère permet de nier la douleur : tout ce qui importe c’est d’anéantir l’autre, le reste ne compte pas ! Du moins était-ce que lui répétaient ses instincts primaires. Anomen pour sa part, aurait bien aidé son compagnon, mais l’état préoccupant de la barrière magique entourant l’elfe ne lui en laissa pas l’occasion. Arthalas était en grave danger, son bouclier sonore s’était matérialisé et semblait fragilisé en de nombreux endroits : il ne lui restait guère de temps avant qu’il ne se vaporise ! Le paladin entreprit donc d’éloigner l’elfe de la zone de combat et de le mener à la sortie qu’il espérait proche, en priant pour que le barbare tienne le coup.
Dans la frénésie du combat, la raison de Phael était sur le point de voler en éclat. Si jamais il entrait dans une rage trop profonde dans son état, il n’y survivrait pas. Heureusement alors qu’il plaquait le monstre contre le mur, un rayon magique issu des mains du mage vint frapper la créature : sa protection éclata et sous l’assaut des ondes soniques elle hurla à la mort ! Elle parvint quand même à lancer de nouveau le sort en dépit de sa douleur, tandis qu’elle s’éloignait du barbare à moitié fou. Cependant son corps, pourtant d’une résistance extraordinaire, avait subit des dégâts importants sous les effets devastateurs du canyon. De plus, les remparts de la passe déjà rudement mis à l’épreuve par le combat, n’y tinrent plus et s’effondrèrent sur le monstre qui disparut dans un tumulte d’une blancheur immaculée.
Au bord de l’explosion psychique, le visage du barbare était serti de veines gonflées et inquiétantes. Conscient que son ami était sur le point de défaillir, Anomen rebroussa promptement chemin et alla rejoindre le barbare. Il posa sa main sur son épaule pour l’apaiser et quand le regard meurtrier de Phael se posa sur lui, ce dernier sembla se calmer quelque peu. La rage faisait toujours effet mais il avait regagné un semblant de lucidité. Hélas dans son duel sans merci avec la créature, son bracelet avait lui aussi était grandement endommagé. Espérant que son ami comprendrait avec la fureur qui l’habitait, le paladin, lui fit signe de courir vers la sortie. A son soulagement, le barbare s’exécuta plaquant l’elfe au passage sur son épaule. S’ensuivit une course euphorique avec son fardeau visiblement irrité vers la fin du canyon. A chaque pas le voile protecteur des deux compagnons allait en s’amenuisant. Ses bruits de course se répercutaient si violement dans le canyon qu’il semblait qu’une armée entière se déplaçait au pas de charge ! D’autres auraient paniqué, mais le barbare légèrement dans le gaz ne réalisait pas le danger qui pesait sur lui. Seul son instinct lui dictait de courir ! Enfin il aperçut la sortie : « plus que quelques petits mètres, elle est si proche, encore un petit effort ! » se dit-il intérieurement.
Peu avant d’atteindre l’embouchure du canyon sa rage prit prématurément fin. Se sentant chanceler, il lança l’elfe vers la sortie avec toutes ses forces, tandis que le bouclier sonore volait en éclat ! Sonné par l’impact de l’explosion de sa protection, le barbare fut poussé vers la paroi, mais il ne ralentit pas sa course pour autant ! Puisant dans ses ultimes réserves, il se jeta en avant. Une détonation retentit derrière lui et vint s’écraser sur la paroi au moment où ses pieds venaient de quitter le canyon ! Le souffle propulsa l’elfe et le barbare plusieurs mètres plus loin, soulevant un gigantesque nuage neigeux . Phaelgalis qui comptait sur une réception acrobatique ne réussit qu’à s’écraser lourdement dans la poudreuse. Tous deux furent ensevelis sous plusieurs centimètres de neige, et il leur fallut un long moment pour s’en extraire les cheveux hirsutes et l’air hagard. Anomen et Zacharius les rejoignirent peu après et malgré les blessures et meurtrissures de chacun ils entreprirent de mettre rapidement le plus de distance possible entre eux et ce maudit canyon !
Quand ils établirent enfin un camp, les compagnons avaient perdu de leur superbe, c’était le moins qu’on puisse dire. L’elfe et le barbare étaient transis de froid même s’ils étaient trop fiers pour l’avouer. Pour ce dernier les effets secondaires de la rage aggravaient encore son état. Après quelques potions de soin et guérisons par apposition des mains par le paladin, le groupe sombra rapidement dans le sommeil, sans se soucier d’éventuels agresseurs. Toutefois avant de s’endormir, chacun s’accorda sur un point : au retour ils prendraient le chemin le plus long !
Commentaires
Je crois que c'est le seul passage de ce récit dont je sois à peu près fier. Bien sûr y'a toujours pas de mal de choses à améliorer, orthographe, syntaxe... Mais j'aime bien l'ambiance qu'il dégage.
Au passage quitte à atténuer l'aspect sinistre du canyon j'ai rajouter que le temps s'était amélioré et la pleine lune levée. Parce que même si c'est un elfe je vois mal comment Arthalas pourrait voir une ombre de nuit et par temps de brouillard sinon.^^